Les impacts des pratiques agricoles sur la qualité des sols ou de l’eau font l’objet de nombreux travaux de recherche, mais restent moins étudiés sur la qualité de l’air. Pourtant, cette question mérite d’autant plus d’attention que le nouveau Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) ainsi que la prochaine stratégie française pour l’énergie et le climat fixeront certainement de nouveaux objectifs en la matière.
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Les collaborations régionales et nationales se font naturellement car nos missions sont complémentaires. L’ADEME est financeur de la recherche et a vocation à faire émerger des connaissances nouvelles ; l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCA) est un partenaire de qualité sur les sujets en lien avec le monde agricole. Elle nous aide à faire remonter les besoins de recherche du terrain, à mener des travaux au sein du réseau des Chambres d’agriculture et enfin à diffuser les enseignements et les bonnes pratiques issus des travaux de recherche auprès des conseillers agricoles et agriculteurs. Notre interaction est donc très riche, sur des sujets allant au-delà de la qualité de l’air.
La qualité de l’air est un enjeu national majeur. L’APCA et son réseau de Chambres d’agriculture contribuent à la mise en œuvre de solutions de terrain pour les agriculteurs. L’enjeu est de tester des pratiques agricoles pour ensuite développer des machines et faire évoluer les pratiques afin, par exemple, de limiter les émissions de polluants lors des épandages. L’agriculture est également impactée par la pollution de l’air, notamment celle à l’ozone, néfaste pour les cultures.
Les Chambres d’agriculture disposent d’un maillage de conseillers dans les territoires qui accompagne les agriculteurs dans ces évolutions. Ils leur proposent également des formations pour s’approprier ces nouvelles pratiques, ainsi que des guides, comme le dernier sur les techniques d’épandage moins émissives en ammoniac.
Nous sommes à une étape de prise de conscience. C’est une problématique d’autant plus complexe à percevoir qu‘il s’agit d’émissions volatiles, et donc difficiles à appréhender. La prise de conscience se fait à mesure que les impacts de la pollution (à l’ozone et aux particules fines qui découlent de l’utilisation de l’ammoniac, notamment) sont perceptibles.
La question de la qualité de l’air et des pratiques agricoles s’inscrit dans un système d’une grande complexité qui dépasse largement la question de la production de denrées alimentaires. En effet, les agriculteurs doivent à la fois produire des aliments, des bioressources non alimentaires ou de l’énergie ; ils doivent stocker du carbone, protéger la biodiversité, l’eau et respecter des réglementations exigeantes alors même que l’évolution climatique complexifie leur métier et la mise en place des bonnes pratiques. La recherche est donc tenue d’aborder ces sujets dans leur globalité. C’est ce que nous faisons dans le dernier appel à projets de recherche AQACIA : pour la première fois, nous traitons simultanément les enjeux liés à la qualité de l’air et au changement climatique en les appréhendant dans une vision de plus long terme.
La difficulté est de raisonner sur le global de l’exploitation. La réglementation impose des dates d’épandage précises pour améliorer la qualité de l’eau… mais ce calendrier est si resserré que la concentration des épandages altère la qualité de l’air. Le législateur doit donc veiller à coordonner les réglementations pour qu’elles ne s’annulent pas les unes les autres et tiennent compte de la réalité des exploitants agricoles.
Cette réflexion sous-tend de penser ce que sera l’agriculture française demain. On anticipe effectivement moins d’élevage et plus de végétal, ce qui aurait un effet positif sur les émissions d’ammoniac. Mais pour grandir, une plante a besoin d’azote, que l’on peut lui apporter sous forme minérale (donc chimique) ou organique. Ces fertilisants organiques sont issus de la production animale et des cultures intermédiaires. Or moins d’élevage signifie moins d’engrais organiques disponibles. L’équilibre est donc compliqué à trouver.
La mise à jour du PREPA et la discussion en cours sur la nouvelle stratégie française pour l’énergie et le climat amèneront certainement de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les prochains travaux de recherche devraient donc tenir compte de ces évolutions réglementaires tout en intégrant les multiples enjeux auxquels les agriculteurs doivent faire face.
Nous avons également besoin de mieux connaître les flux de produits phytosanitaires (en particulier dans l’air) et leur dangerosité. Pour l’heure, la réglementation ne prévoit rien de spécifique à ce propos et les études les abordent très peu. Pourtant, ces produits constituent et constitueront un enjeu important du secteur agricole.
Quel que soit le sujet abordé, il faut le poser dans sa complexité et ne pas oublier le rôle décisif des consommateurs dans ce que sera l’agriculture de demain. La réduction de certains cheptels telle que l’envisagent les scénarios prospectifs se base d’abord sur une évolution des régimes alimentaires et des modes de la consommation de la population. Ce qui veut dire que si le consommateur veut une agriculture plus durable pour l’environnement et pour les hommes et les femmes qui la produisent, c’est aussi à lui, dans ses choix, d’impulser et soutenir cette agriculture. Nous sommes donc au cœur d’un enjeu à la fois environnemental et de société. Dans un avenir proche, le secteur agricole restera au centre des questions de production alimentaire et non alimentaire, mais son implication dans les problématiques de stockage de carbone et de préservation de la biodiversité va s’accentuer. L’enjeu est donc important et il y a un vrai bénéfice à chercher et à proposer des solutions qui rendront ces systèmes durables.
BIO EXPRESS
Agricultrice, Edwige Kerboriou est élue à la Chambre d’agriculture de Bretagne, vice-présidente de la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor (où elle est responsable régionale Environnement) et référente qualité de l’air à l’APCA ; elle siège également au Conseil national de l’air pour l’APCA. Ses différentes missions lui permettent de connaître les enjeux nationaux liés à la qualité de l’air, mais aussi les attentes régionales en la matière, tout en prenant en compte les besoins et la réalité des agriculteurs dans leur exploitation.